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Dans un article publié récemment sur ce blog, nous avons analysé comment la propagation de la maladie associée au nouveau coronavirus (COVID-19) peut détériorer l’économie mondiale, entraînant des effets sur la sécurité alimentaire et aux efforts de réduction de la pauvreté. Nous avons souligné que les répercussions économiques de la pandémie actuelle seront différents des précédents, notamment celles du SRAS, de la grippe aviaire et du MERS, qui ont causé des dommages directs aux secteurs de l’élevage, entraînant des pénuries alimentaires et des hausses des prix des denrées alimentaires dans les zones touchées. Jusqu’à présent, on ne déplore aucune pénurie alimentaire majeure en raison du COVID-19.
Cependant, la pandémie a des impacts économiques importants. Elle secoue les marchés boursiers mondiaux et l’activité économique a considérablement ralenti dans les endroits où de nombreuses personnes sont malades et où les mouvements sont limités pour contenir la propagation du virus. Les signes d’un ralentissement économique continu sont plus visibles en Chine, mais en raison de mesures de confinement plus étendues ailleurs, incluant des restrictions sur les voyages, la fermeture des bars, des restaurants et d’autres lieux de rassemblement, et de limites supplémentaires imposées aux services, les impacts économiques s’étendent désormais à d’autres pays. Les craintes d’un ralentissement économique mondial augmentent. Les prévisions économiques prévoient que la croissance mondiale pourrait être réduite de moitié en 2020, à 1,5% contre une prévision antérieure de 3%. Dans notre article précédent, nous avions prévu que pour un point de pourcentage de ralentissement de l’économie mondiale, le nombre de pauvres – et avec lui le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire – augmenterait de 2%, soient 14 millions de personnes (et peut-être plus en fonction de la nature des perturbations économiques). Nous expliquons ici comment nous avons atteint cette estimation.
Ces impacts sont encore difficiles à prévoir, puisque tant de choses restent inconnues au sujet du COVID-19, notamment la vitesse à laquelle il pourrait se propager et à quel point les mesures de confinement seront efficaces. Le profil démographique des personnes touchées par COVID-19 suggère que les effets économiques directs de la morbidité et de la mortalité liées au coronavirus pourraient être plus atténués que lors de pandémies telle que la grippe espagnole de 1918, dont les impacts ont le plus fortement touché les jeunes, particulièrement ceux vivant dans les communautés rurales. Jusqu’à présent, les personnes âgées en mauvaise santé se sont avérées être de loin les plus susceptibles de tomber gravement malades du COVID-19. La plupart des personnes de ce groupe ne font pas partie de la population active. En dehors de l’augmentation des coûts des soins de santé et de la perte de productivité, les dommages économiques devraient donc se faire sentir principalement par les impacts liés aux restrictions sur les personnes qui vont travailler, sur les voyages, et sur les interactions sociales.
Dans la présente analyse de scénario, nous supposons que les mesures de confinement se révéleront efficaces pour ralentir la propagation du virus au cours des prochains mois, de sorte que son principal impact économique soit une perturbation majeure mais de courte durée de l’activité économique mondiale. Un rebond suivrait probablement, une fois que les mouvements de personnes, de biens et de services commenceront à revenir à la normale. Ce scénario ressemble à celui qui sous-tend le ralentissement de la croissance économique mondiale prévu par l’OCDE entre 0,5 et 1,5 point de pourcentage en 2020.
Les implications d’un tel ralentissement pour la pauvreté et l’insécurité alimentaire dépendent des hypothèses faites sur la durée de la pandémie et sur les mécanismes de transmission. En ce qui concerne la durée, comme mentionné, nous supposons, peut-être avec optimisme, que la propagation mondiale du virus pourrait être contenue dans les prochains mois, de sorte que l’économie mondiale ne devrait pas basculer dans une profonde récession, mais ralentir d’un point de pourcentage en 2020. Nous représentons les impacts économiques à travers trois scénarios possibles :
- Choc de la productivité du travail : les principaux impacts proviennent des travailleurs incapables de faire leur travail, entraînant une baisse moyenne de la productivité du travail de 1,4% en 2020 (ce qui équivaudrait à l de 1,4% de l’offre de main d’œuvre).
- Choc de la productivité totale des facteurs : les impacts se font sentir par une paralysie temporaire de l’activité économique intérieure causée par des perturbations des canaux de distribution, l’incapacité de fournir des intrants et des services en raison de la mise en quarantaine des travailleurs, etc. Nous simulons ce phénomène par une réduction moyenne de la croissance de la productivité totale des facteurs suffisamment importante pour réduire le PIB mondial de 1%.
- Choc commercial : les impacts se font sentir à travers les perturbations du commerce international entraînant une augmentation du coût des échanges de près de 5% en moyenne et suffisamment pour provoquer un coût de la croissance économique mondiale de 1%.
Nous exécutons ces scénarios à l’aide de MIRAGRODEP, le modèle d’équilibre général de l’IFPRI, pour générer des impacts sur les revenus, les salaires et les prix des produits de base à travers les pays, et calculer les impacts sur la pauvreté au niveau des ménages, en utilisant des modèles de ménages pour environ 300 000 ménages dans le monde en développement. Ce faisant, nous suivons la même approche que pour les nos évaluations précédentes portant sur es impacts sur la pauvreté dus aux ralentissements économiques mondiaux. Ces évaluations prennent en compte les impacts directs des baisses de productivité sur les revenus générés par les entreprises familiales, et les impacts de toutes les baisses de productivité sur les prix à la production et à la consommation (en particulier les prix des denrées alimentaires), ainsi que sur les salaires.
Les principales conclusions se trouvent dans le tableau et le graphique ci-dessous, qui montrent les changements simulés par rapport aux valeurs de référence, avec des millions de pauvres supplémentaires résultant de chacun des trois scénarios. Dans l’ensemble, les résultats montrent que les impacts macroéconomiques sur le PIB, la consommation des ménages, la production agroalimentaire et le commerce seraient globalement similaires pour les pays développés et les pays en développement – si le ralentissement était causé par les chocs de productivité du travail ou de la productivité totale des facteurs. Cependant, si les effets des mesures de confinement se font plutôt sentir principalement par des perturbations du commerce international, les conséquences pour les pays en développement seraient plus graves en raison de leur plus grande dépendance à l’égard du commerce.
Comme le montre le tableau 1, la croissance du PIB des pays en développement ralentirait de 1,5% dans le scénario du choc commercial, tandis que celle des pays développés chuterait de 0,7%. Le secteur agroalimentaire semble être plus résilient que les autres dans tous les scénarios, en partie parce que la demande alimentaire est relativement moins sensible à la croissance des revenus (c’est-à-dire les revenus «inélastiques» dans le jargon des économistes). Cependant, le système alimentaire mondial lui-même subirait un impact négatif plus important dans le scénario du choc commercial, auquel cas un ralentissement économique mondial de 1% pourrait entraîner une baisse des exportations agroalimentaires des pays en développement de près de 25%.
Tableau 1. Effets macroéconomiques d’une réduction de 1% de la croissance économique mondiale
Globalement, une croissance inférieure de 1% de l’économie mondiale se traduirait par une augmentation du taux d’extrême pauvreté dans le mode de 1,6% à 3% (voir figure 1) – la fourchette est due au fait que les impacts sur la pauvreté sont assez sensibles au fait que le ralentissement soit dû à des différences de choc de productivité ou de perturbation des échanges. Pour la paralysie temporaire et partielle de l’activité commerciale causée par les mesures de confinement du COVID-19, la pauvreté mondiale toucherait 14 millions de personnes (soit une augmentation de 1,9% du scénario de la productivité totale des facteurs). Mais ce nombre atteindrait près de 22 millions (augmentation de 3,0%) si les circuits commerciaux étaient perturbés.
FIGURE 1 Evolution du nombre de personnes visant dans l’extrême pauvreté (seuil de 1$90 par jour en PPA) dans le cas d’une réduction de 1% de la croissance économique mondiale
Les résultats de la simulation des impacts sur la pauvreté par région sont sensibles aux canaux de transmission du ralentissement de la croissance mondiale. En termes absolus, le plus grand impact régional sur la pauvreté se situerait en Afrique au sud du Sahara, où se concentrerait 40 à 50% de l’augmentation mondiale de la pauvreté. En termes relatifs, l’impact d’un choc commercial affecterait plus les pauvres d’Afrique que ceux d’Asie du Sud, étant donné que les économies africaines sont – en moyenne – plus dépendantes du commerce que celles d’Asie du Sud, notamment en raison du poids de l’Inde, une économie grande mais relativement fermée. Les chocs de productivité, en revanche, auraient un impact plus important sur la pauvreté en Asie du Sud qu’en Afrique, peut-être en raison de l’impact négatif plus important des scénarios sur les secteurs non agricoles, qui ont un poids plus important dans les économies sud-asiatiques.
Des résultats plus détaillés de ces simulations peuvent être trouvés ici.